Spectacle de Dieudonné : une nouvelle interdiction suspendue en référé-liberté
En référé-liberté, l’arrêté du maire de Toulouse interdisant le spectacle de Dieudonné a été suspendu ( TA Toulouse, Ord., Ref., 10 novembre 2023, n°2306788).
Dans une ordonnance particulièrement motivée, le tribunal administratif de Toulouse a considéré qu’en décidant l’interdiction du spectacle de M. M’Bala M’Bala, alors qu’aucune circonstance particulière ne permet de tenir pour établi le risque allégué de trouble à l’ordre public, le maire de la commune de Toulouse a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression.
Le maire justifiait notamment cette interdiction par le contexte israélo-palestinien et les condamnations de l’humoriste.
Les arguments du Maire de Toulouse pour interdire le spectacle de Dieudonné
Pour prononcer l’interdiction du spectacle de Dieudonné en litige, le maire de la commune de Toulouse soutenait que le spectacle de Dieudonné risquait de provoquer des troubles graves à l’ordre public car :
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Dieudonné a fait l’objet de nombreuses condamnations pénales en raison de propos injurieux, incitant à la haine raciale, négationnistes ou faisant l’apologie d’actes de terrorisme.
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Les propos et condamnations régulières et assumées de M. M’Bala M’Bala traduisent une volonté délibérée de porter atteinte à la dignité de la personne humaine et que l’intéressé utilise ses spectacles en vue de banaliser ses prises de position publiques qui participent à la radicalisation d’une partie de la population, la dissociation opérée entre l’artiste et le militant politique étant de pure façade et le discours tenu en soutien d’une idéologie contraire à la dignité humaine étant régulièrement véhiculé par le spectacle qui en fait la promotion.
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Le maire a par ailleurs indiqué que le spectacle « Dieudonné sous bracelet » vise à mettre en scène un détenu avec un personnage de confession juive et présente un caractère antisémite, incitant à la haine raciale en faisant l’apologie des discriminations
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Le spectacle en cause a fait l’objet d’une interdiction par le préfet de Police de Paris (attention : cette interdiction avait déjà été suspendue) et qu’il n’y a pas lieu de penser que le contenu de ce spectacle soit différent des précédents spectacles de M. M’Bala M’Bala.
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Le maire a souligné que dans le contexte lié aux attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023 à l’évolution de la situation résultant notamment de la contre-offensive sur la bande de Gaza et au risque d’importation des tensions nées de ce conflit en France et à Toulouse, les prises de position publiques de M. M’Bala M’Bala contribuent à exacerber les antagonismes communautaires.
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L’annonce du spectacle a provoqué de vives réactions au niveau local et que le lieu exact de la représentation devant être communiqué au plus tard quelques heures avant le début de la représentation, l’organisation quasi clandestine de ce spectacle rend impossible la mise en place d’un dispositif de sécurité adapté.
La motivation de l’ordonnance de référé-liberté pour suspendre l’interdiction du spectacle de Dieudonné
Pour suspendre la décision du maire d'interdire le spectacle de Dieudonné, le juge du référé-liberté a considéré que :
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Aucun des motifs ainsi exposés ne démontrent une attitude ou des propos récents imputables à M. M’Bala M’Bala qui seraient de nature à caractériser un risque de trouble à l’ordre public à l’occasion du spectacle de Dieudonné organisé à Toulouse, le dimanche 12 novembre 2023.
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Le maire de la commune de Toulouse n’apporte aucune précision sur les propos ou les scènes du spectacle de Dieudonné objet de l’arrêté litigieux qui seraient susceptibles de porter atteinte à la dignité de la personne humaine ou pourraient présenter un caractère discriminatoire, antisémite et incitant à la haine raciale.
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S’il est exact que le requérant a fait à plusieurs reprises l’objet de condamnations pénales, celles-ci ne sauraient démontrer l’existence d’un trouble actuel à l’ordre public, dès lors que ces condamnations portent sur des faits anciens, qu’elles ne concernent pas le spectacle de Dieudonné en cause ou un spectacle similaire et qu’elles n’ont pas emporté, pour l’intéressé, une interdiction de toute expression pour l’avenir
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La circonstance que le préfet de Police de Paris ait très récemment interdit un spectacle de Dieudonné M’Bala M’Bala ne saurait, à elle seule, démontrer un risque de trouble à l’ordre public, alors que l’exécution de cet arrêté a été suspendue par une décision de justice (TA Paris, Ord., Ref., 28 septembre 2023, n°2322358/9) et qu’aucun trouble à l’ordre public n’a été recensé par la suite.
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La circonstance que le lieu exact de la représentation du spectacle de Dieudonné en cause ne soit communiqué aux spectateurs que quelques heures avant son commencement ne permet pas, en elle-même, d’établir l’existence de troubles à l’ordre public insurmontables, cette circonstance étant plutôt de nature à éviter de tels troubles, dès lors qu’elle empêche tout regroupement massif en un seul lieu de personnes qui seraient opposées à la venue de M. M’Bala M’Bala.
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S’il y a lieu de tenir compte des circonstances particulières tenant aux attaques terroristes perpétrées par le mouvement du Hamas en Israël le 7 octobre dernier et à la contre-offensive israélienne dans la bande de Gaza, ainsi que des tensions qui peuvent en résulter en France en général et à Toulouse en particulier, le maire de la commune n’apporte aucun élément précis de nature à établir que ce contexte rendrait plus probable la survenue d’incidents en marge du spectacle de M. M’Bala M’Bala.
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Si la commune de Toulouse fait valoir en défense qu’un rassemblement contre l’antisémitisme est également prévu le 12 novembre 2023 à 16 heures place du Capitole, et qu’un concert de musique doit se tenir le soir-même au Zénith, l’organisation de ces évènements, à des heures et lieux différents du spectacle programmé par M. M’Bala M’Bala, ne permet pas d’attester de l’existence avérée d’un trouble à l’ordre public liée audit spectacle.
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Aucun élément ne permet de considérer que le spectacle du requérant serait, par lui-même, de nature à favoriser l’importation sur le sol français du conflit israélo-palestinien.
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La circonstance que le spectacle en cause va se dérouler sur la voie publique sans aucune déclaration préalable auprès de l’administration, cette circonstance ne permet pas davantage d’attester de l’existence avérée d’un tel trouble à l’ordre public.
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Alors même qu’il existe une forte mobilisation des forces de l’ordre dans le cadre du renforcement du plan vigipirate et que se manifesterait une opposition locale particulière à la tenue de la représentation en cause susceptible de provoquer des affrontements, entre partisans et détracteurs du requérant, il ne résulte pas de l’instruction que des mesures de sécurité appropriées ne seraient pas susceptibles d’être mises en place pour assurer la sécurité de ce spectacle, dont la localisation a d’ailleurs été précisée par le requérant à l’appui de ses écritures et que seule une mesure d’interdiction serait nécessaire et proportionnée pour prévenir d’éventuels troubles à l’ordre public.
Conclusion : l'interdiction du spectacle de Dieudonné pour le dimanche 12 novembre à Toulouse est suspendue
Le juge du référé-liberté a jugé qu'en décidant l’interdiction du spectacle de M. M’Bala M’Bala, alors qu’aucune circonstance particulière ne permet de tenir pour établi le risque allégué de trouble à l’ordre public, le maire de la commune de Toulouse a porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d’expression.
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