Achats d'actes sexuels, France et CEDH
Publié le :
26/07/2024
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L’incrimination par la France de l’achat d’actes sexuels n’est pas contraire au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH) [CEDH, 25 juillet 2024, M. A et autres c. France (requêtes n°63664/19, n°64450/19, n°24387/20, n°24391/20, n°24393/20)].
La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) reconnait des débats intenses autour de la pénalisation générale et absolue de l’achat d’actes sexuels en tant qu’instrument de lutte contre la traite des êtres humains. Toutefois, la CEDH considère que la France, qui a une logique abolitionniste, a respecté sa marge nationale d’appréciation du fait notamment du respect d’un arbitrage effectué selon les modalités démocratiques et tenant compte des préoccupations de chacun.
La CEDH rappelle tout de même que la France devra garder sous un examen constant l’approche adoptée afin que ce régime s’adapte à l’évolution de la société.
L’historique de la répression de l’achat d’actes sexuels
Cette décision était attendue et fait suite à plusieurs décisions importantes rendues par les juridictions françaises.
Concernant la prostitution, elle fait l’objet d’une protection, ambiguë certes mais protection tout de même, de la part des institutions européennes.
D’abord, la Cour de Justice de l’Union Européenne a défini la prostitution comme étant « une activité par laquelle le prestataire satisfait, à titre onéreux, une demande du bénéficiaire sans produire ou céder des biens matériels » (CJUE, 20 novembre 2001, affaire C.268/99 et autres, n° 423892).
Le Conseil de l’Europe, par la voix de ce qui était la commission européenne des droits de l’Homme a considéré que « le droit d’entretenir des relations sexuelles en se prostituant n’est pas un droit garanti par la Convention » (Commission Européenne des droits de l’Homme, 10 mars 1988, France c./ Suisse).
Ainsi, aujourd’hui, la CEDH ne reconnaît toujours pas la prostitution comme un droit garantie par la Convention mais elle la considère comme les autres activités économiques (CEDH, 11 décembre 2007, Tremblay c./ France).
Plus encore, la Cour Européenne des Droits de l’Homme considère que « le droit d’entretenir des relations sexuelles découle du droit de disposer de son corps, partie intégrante de la notion d’autonomie personnelle » (CEDH, 17 février 2005, K.A et A.D c/ Belgique, requêtes n° 42758/98 et 45558/99).
Il convient toutefois de relever qu’à ce jour la Cour Européenne des droits de l’Homme n’a jamais analysé la question du caractère inhumain et dégradant de la prostitution. Seul élément de précision, la Cour considère que la prostitution est contraire à la dignité dès lors qu’elle est contrainte ce qui renforce la nécessité de lutter contre le proxénétisme. La lutte contre le proxénétisme est d’ailleurs l’objet de la loi n°2016-444 contrôlée par la décision rendu le 25 juillet 2024 par la CEDH.
La répression de la clientèle de l’achat d’actes sexuels
Il a été démontré que la prostitution n’était pas interdite. Ainsi, un individu (majeur) peut décider, au nom de sa liberté personnelle, de se livrer à une activité de prostitution.
En revanche, toute intervention ou sollicitation d’un tiers dans cette activité est proscrite : clientèle et proxénétisme.
L’article 611-1 du code pénal réprime ainsi le client de l’amende prévue pour les contraventions de 5ème classe.
La sanction est portée à 3 750 € en cas de récidive et à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende lorsque la prestation sollicitée est fournie par un mineur ou une personne vulnérable (Art. 225-12-1 du Code Pénal).
Une QPC avait été déposée contre ces dispositions et le Conseil constitutionnel avait rappelé qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Le Conseil constitutionnel avait alors constaté qu'il ressort des travaux préparatoires des dispositions contestées qu'en faisant le choix de pénaliser les acheteurs de services sexuels, que le législateur a entendu, en privant le proxénétisme de sources de profits, lutter contre cette activité et contre la traite des êtres humains aux fins d'exploitation sexuelle, activités criminelles fondées sur la contrainte et l'asservissement de l'être humain.
Le Conseil constitutionnel considère alors que le législateur a entendu assurer la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre ces formes d'asservissement et poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions (Décision n° 2018-761 QPC du 1er février 2019).
La qualité de cet arbitrage a été relevé par la CEDH, dans sa décision du 25 juillet 2024, et le même raisonnement avait été adopté par la Conseil d’Etat (CE, 7 juin 2019, Médecins du monde et autres, n°423892)
Une logique abolitionniste
Soixante-dix ans après avoir mis fin aux maisons closes, la France a renforcé sa législation abolitionniste avec l’adoption, en 7 avril 2016, de la loi contre le système prostitutionnel (LOI n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées).
Cette loi s’inscrit dans la logique abolitionniste de la France et s’inscrit en cohérence avec la Résolution du Parlement européen du 6 février 2013 portant sur l’élimination et la prévention de toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles, et inclut également la prostitution dans la liste des violences faites aux femmes et violations des droits humains.
Cette loi du 13 avril 2016 se conçoit comme un texte contribuant à :
- Renforcer la lutte contre le proxénétisme, en prévoyant notamment un dispositif de signalement des contenus illicites sur Internet et en renforçant les mesures de protection des personnes témoignant à l’encontre des réseaux criminels
- Améliorer la prise en charge des personnes victimes de prostitution, de proxénétisme ou de traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle, avec la création d’un parcours de sortie de la prostitution proposé à toute personne qui souhaite accéder à des alternatives
- Favoriser un changement de regard sur la prostitution via des mesures de sensibilisation du grand public et de prévention en direction des jeunes
- Responsabiliser les clients de la prostitution en créant une infraction de recours à la prostitution d’autrui
Aujourd’hui, la prévention et la lutte contre la prostitution constitue une préoccupation à part entière des politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes. Les résultats de cette politique sont discutables.
- À ce titre, elle figure dans le 5ème plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes (2017-2019) qui décline 3 objectifs dans ce domaine :
- Mettre en place le parcours de sortie de la prostitution et d’insertion sociale et professionnelle et accompagner les victimes
- Prévenir l’achat d’actes sexuels
- Condamner les acheteurs d’actes sexuels
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