Le "harcèlement moral institutionnel" peut être sanctionné sur le fondement du harcèlement moral au travail.
La reconnaissance du « harcèlement moral institutionnel » a été confirmée par la Cour de cassation (Cass. crim., 21 janv. 2025, n° 22-87.145, Publié au bulletin).
Ainsi, les dirigeants d’une société peuvent être sanctionnés pénalement pour avoir commis un « harcèlement moral institutionnel », c’est-à-dire un harcèlement résultant d’une politique d’entreprise conduisant, en toute connaissance de cause, à la dégradation des conditions de travail des salariés.
Quels sont les faits et le raisonnement de la Cour ?
Les faits à l'origine du harcèlement moral institutionnel
Par le biais de son président-directeur général et de plusieurs de ses dirigeants, une grande société a mis en place dès 2006 une politique d’entreprise qui a touché un quart de ses employés.
Cette politique s’est traduite par :
- un plan de réduction d’effectifs visant 20 000 agents ;
- un plan de mobilité interne visant 10 000 agents.
Un syndicat a porté plainte en dénonçant les conséquences humaines très lourdes résultant de cette politique.
La société et ses principaux dirigeants ont alors été poursuivis pour « harcèlement moral au travail ».
Le rappel de la définition du harcèlement moral au travail
Pour rappel, le harcèlement au travail est incriminé à l’article 222-33-2 du code pénal. Ainsi, le harcèlement moral est caractérisé lorsqu’une personne est la cible d’agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail, dégradation susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel.
L’auteur d’un harcèlement moral au travail encourt :
- 1 an d'emprisonnement et 15 000 € d'amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à 8 jours
- 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende en cas de circonstance aggravante
- 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende en cas de pluralité des circonstances aggravantes
Rappel du raisonnement contesté de la Cour d'appel
En appel, la société et ses principaux dirigeants ont été condamnés pour « harcèlement moral institutionnel », sur le fondement de l’article 222-33-2 du code pénal, qui vise le « harcèlement moral au travail ». La Cour d’appel avait ainsi considéré :
- qu’il est d’usage de parler de « harcèlement moral institutionnel » lorsque des dirigeants déploient une politique d’entreprise qui, en connaissance de cause, conduit à une dégradation des conditions de travail de tout ou partie de leurs salariés.
- Il doit s’agir d’une dégradation susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité des salariés, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.
- Le code pénal incrimine le « harcèlement moral au travail » sans faire de mention spécifique et littérale à sa possible dimension « institutionnelle ».
Un pourvoi en cassation a alors été formé.
Le raisonnement de la Cour de cassation confirme la possible condamnation du harcèlement moral institutionnel sur le fondement du harcèlement moral au travail
La question soumise à la Cour de cassation était donc la suivante : les dirigeants d’une société peuvent-ils être condamnés sur le fondement de la loi réprimant le « harcèlement moral au travail » pour avoir, en connaissance de cause, défini et mis en œuvre une politique générale d’entreprise de nature à entrainer une dégradation des conditions de travail des salariés ?
La Cour a répondu par l’affirmative en considérant que le « harcèlement moral institutionnel » entre bien dans le champ du « harcèlement moral au travail » tel que le conçoit le code pénal.
En effet, le législateur a souhaité donner au harcèlement moral au travail la portée la plus large possible.
La Cour de cassation considère ainsi que la loi :
- n’impose pas que les agissements répétés s’exercent à l’égard d’une victime déterminée ;
- n’impose pas que les agissements répétés s’exercent dans une relation interpersonnelle entre l’auteur et la victime > le fait qu’auteur et victime appartiennent à la même communauté de travail est suffisant.
La Cour de cassation considère que la législation incriminant le harcèlement au travail permet de réprimer les agissements répétés qui s’inscrivent dans une « politique d’entreprise » (ensemble des décisions prises par les dirigeants ou les organes dirigeants d’une société visant à établir ses modes de gouvernance et d’action).
La Cour ajoute que cette interprétation du texte n’était pas imprévisible, d’autant plus pour des professionnels qui avaient la possibilité de s’entourer des conseils éclairés de juristes.
Partant, la Cour de cassation conclut que la cour d’appel a établi par des motifs suffisants l’existence d’agissements de la part des prévenus caractérisant le délit de « harcèlement moral institutionnel » ou la complicité de ce délit.
Les pourvois des dirigeants ont donc été rejetés et les condamnations sont définitives.
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