La CEDH condamne l'inertie de la Russie face à la situation de travailleuses migrantes asservie
La Russie a violé les articles 4 et 14 de la CESDH en ce qu’elle a, de manière discriminante, méconnu son obligation de protéger des travailleuses migrantes en situation irrégulière contre la traite d’êtres humains et la servitude (CEDH, 10/12/2024, requêtes n°71671/16 et 40190/18).
Il est reproché à la Russie d’être restée inerte face à la situation de travailleuses migrantes en situation irrégulière contre la traite d’êtres humains et la servitude alors qu’elle aurait pu adopter un régime législatif adapté, mener une enquête et prendre des mesures effectives.
Cette inaction des autorités nationales à l’égard des requérantes en tant que travailleuses migrantes est caractéristique d’une discrimination méconnaissant l’article 14 de la CESDH.
L'asservissement de travailleuses migrantes
Les requérantes kazakhes et ouzbèkes se sont vues retirer leurs papiers d’identité après leur arrivée en Russie. Des magasins les faisaient travailler jusqu’à 20 heures par jour, sans congés, dans des conditions éprouvantes, incluant le port de charges lourdes. Sans contrat ni régularisation de leur statut, elles n’ont pas perçu les salaires promis. Lorsqu’elles les réclamaient, elles subissaient des violences ou recevaient la promesse d’un paiement intégral à la fin de leur emploi.
Les requérantes étaient confinées dans les magasins, dormaient à même le sol des dépôts, et étaient nourries avec des aliments avariés. Elles étaient forcées de boire de l’alcool, interdites de parler entre elles ou avec les clients, et surveillées en permanence par un collègue et des caméras. Les rares contacts avec leurs familles se faisaient sous stricte surveillance via des appels sur haut-parleur.
Certaines des requérantes racontent s’être faites casser des doigts, tirer les cheveux, asséner des coups de poing et de pied, frapper à la tête et sur l’ensemble du corps avec des objets lourds ou avec une broche.
Elles rapportent également s’être faites violer par des collègues masculins sur ordre des propriétaires des magasins. L’une d’elle indique être tombée enceinte et avoir été forcée à avorter par ces derniers. Plus encore, elles indiquent que les propriétaires des magasins retiraient les enfants aux femmes qui y travaillaient.
En réponse aux nombreux signalements concernant la situation des requérantes, à une demande d'entraide judiciaire des autorités kazakhes et aux plaintes pénales déposées par les requérantes avec le soutien d'ONG, les autorités russes ont conduit des enquêtes préliminaires, lesquelles ont abouti à des décisions de ne pas engager de poursuites pénales.
Le condamnation de cet asservissement sur le fondement de l'inertie discriminante de la Russie
La Cour rappelle que l’interdiction de l’esclavage, de la servitude et du travail forcé est l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques.
De plus, elle indique que les autorités russes avaient raisonnablement matière à soupçonner que les requérantes avaient été victimes de la traite d’êtres humains et livrées aux mains des propriétaires des magasins aux fins d’une exploitation par le travail.
Au regard des témoignages des requérantes, des similitudes qui existent entre les versions respectives, et d’autres éléments de preuve, la Cour considère que les requérantes ont été victimes de la traite internationale d’êtres humains et de la servitude.
La Cour relève que la disposition du code pénal russe s’agissant de la traite d’êtres humains n’a pas été appliquée. Les autorités ont soutenu que les requérantes avaient de fait “choisi” de rester dans les magasins et d’y travailler mais la Cour considère que la question du consentement n’est pas pertinente quant à savoir si les faits en question relèvent de la traite d’êtres humains.
De plus, la Cour estime que le code pénal russe n’a pas effectivement incriminé la traite d’êtres humains, le travail forcé et la servitude et que la Russie n’a pas adopté de loi prévoyant des mesures destinées à combattre et à prévenir la traite d’êtres humains et à fournir une assistance aux personnes qui en sont victimes, malgré les demandes qui lui ont été régulièrement adressées en ce sens.
Dès lors, dans l’ensemble, la Cour estime que la Russie a manqué à son obligation de mettre en place un régime législatif et administratif visant à interdire et à prévenir la traite d’êtres humains, le travail forcé et la servitude et à en protéger les victimes, et d’apporter aux requérantes, dont l’une était mineure lorsqu’elle a fait l’objet d’une traite vers la Russie, une protection effective contre ces infractions.
Historique
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