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La soirée "Etrangers dehors" n'est pas contraire à la dignité humaine

La soirée "Etrangers dehors" n'est pas contraire à la dignité humaine

Publié le : 02/07/2024 02 juillet juil. 07 2024

En référé-liberté, le tribunal administratif de Rouen a considéré que l’interdiction d’une soirée “Ausländer Raus” ( trad. “les étrangers dehors”) par le maire de la ville est une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale du droit d’association et de réunion (TA Rouen, 28 juin 2024, n°2402507)

 

Les faits 

 

Le vendredi 28 juin, soit deux jours avant le premier tour des élections législatives, une soirée intitulée “Ausländer Raus”, était organisée dans un bar de Rouen.


Le maire de la ville a saisi le parquet pour signaler une soirée à caractère “xénophobe”.


Craignant un trouble à l’ordre public lié notamment à la rencontre entre les conviés à la soirée et les militants présents dans une réunion tenue par une importante personnalité politique à proximité du bar, le maire a interdit cette réunion au titre de ses pouvoirs de police administrative.


L’association organisatrice de la soirée a saisi le juge du référé-liberté.

 

Le droit d’expression collective, une liberté fondamentale invocable en référé-liberté

 

Les articles 10 et 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDH) protègent la liberté d’expression et de communication. Ces libertés sont également garanties par la Constitution, par référence notamment à la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) et de ses articles 10 et 11. 


Le juge du référé-liberté a accepté de contrôler le respect de la liberté d'expression des courants de pensée et d'opinion (Conseil d'Etat, Ordonnance du juge des référés (M. Labetoulle), du 24 février 2001, 230611, publié au recueil Lebon). 


A l’évidence, ces libertés doivent être conciliées avec la nécessaire préservation de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle (Cons. const. 27 juill. 1982, n° 82-141 DC, § 5).


Pour rappel, les composantes de l’ordre public sont la sécurité publique, la salubrité publique, la tranquillité publique, la moralité publique ainsi que le respect de la dignité de la personne humaine. 

 

Le risque de trouble à l’ordre public ne justifie pas systématiquement une interdiction de réunion

 

Le juge du référé-liberté apprécie au cas par cas les situations qui lui sont soumises. Il applique un contrôle de proportionnalité c’est-à-dire qu’il appréciera de manière casuistique si une mesure de police administrative est nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif de préservation de l’ordre public poursuivi. 


En cas de disproportionnalité d’une mesure de police administrative, le juge du référé-liberté peut prendre toute mesure nécessaire pour mettre fin à l’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. 


L’appréciation de l’usage des pouvoirs de police étant casuistique, il est clair qu’aucun principe d’interdiction systématique ne peut exister. 


C’est à ce titre que le Tribunal administratif de Rouen a considéré que le risque de trouble à l’ordre public ne justifie pas systématiquement une interdiction de réunion dès lors que l’autorité administrative dispose de “moyens humains, matériels et juridiques de prévenir autrement les troubles en cause”. 


Ainsi, il apparaît que l’interdiction pure et simple de la soirée décidée par le maire de Rouen est une mesure inadaptée aux risques de troubles à l’ordre public qu’elle est susceptible de produire.

 

Auslander Raus” (étrangers dehors) : slogan xénophobe mais pas une atteinte à la dignité humaine 


La dignité de la personne humaine est une composante de l’ordre public depuis le célèbre arrêt Morsang-sur-Orge (Conseil d'Etat, Assemblée, 27/10/1995, n°136727) où le Conseil d’État avait considéré que le lancé de nains dans un but de divertissement constitue une atteinte à la dignité de la personne humaine. 


En l’espèce, le Tribunal administratif, ayant repris les arguments avancés par l’association demanderesse, a considéré que le slogan “Ausländer Raus” ne constitue pas une atteinte à la dignité humaine. 


Plus précisément, le juge du référé-liberté a considéré que “ce slogan utilisé pour convoquer, dans le cadre restreint d’une soirée organisée dans un bar, une trentaine de personnes en dépit d’une annonce publique incitant à l’ouverture à plus d’invités, quoique provocateur, n’atteint pas, par lui-même, un degré de gravité tel qu’il constituerait par lui-même une atteinte à la dignité de la personne humaine. Dans ces conditions, le trouble à l’ordre public résultant d’une atteinte à ce principe de dignité qui permettrait au maire de prendre une mesure de police en dehors de considérations liées à l’existence de désordres matériels n’est pas caractérisé dans les circonstances de l’espèce, étant précisé que cette appréciation ne prémunit en rien les auteurs d’éventuelles poursuites judiciaires en cas de propos ou d’agissements répréhensibles.”


Le juge considère ainsi qu’aucun élément ne permet d’établir que cette expression fasse référence à la propagande et aux chants diffusés pendant le régime national socialiste allemand. 


Même si le juge administratif admet le caractère xénophobe du slogan Ausländer ( “étrangers”) associé à l’interjection Raus ( “dehors”), il soumet à l’appréciation du juge pénal, seul juge compétent, la qualification discriminante de cette expression. 


Aussi, le tribunal administratif considère que le caractère privé et restreint de cette soirée ne permet pas d’atteindre un degré de gravité tel qu’il puisse constituer une atteinte à la dignité de la personne humaine


Enfin, le juge administratif rappelle que cette appréciation ne fait pas obstacle à d’éventuelles poursuites judiciaires suite au signalement du maire de Rouen au procureur de la République le 21 juin 2024. 

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