Les élus locaux sont-ils soumis au principe de neutralité religieuse ?
Publié le :
01/08/2024
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Non, aucune disposition législative ne prévoit que le principe de neutralité religieuse s'applique aux élus locaux.
Le tribunal administratif de Grenoble a eu l’occasion de rappeler le principe de liberté des élus municipaux dans un jugement rendu le 7 juin 2024 (TA de Grenoble, 7 juin 2024, n°2100262).
En l’espèce, le conseil municipal de la ville de Voiron avait adopté un règlement intérieur dont plusieurs dispositions étaient contestées. Parmi ces dispositions, les requérants demandaient aux juges d’annuler le dernier alinéa de l’article 15 initialement rédigé dans ces termes :
" Une tenue vestimentaire correcte et ne faisant pas entrave au principe de laïcité est exigée des élus siégeant au conseil municipal. ".
Les libertés fondamentales mises en jeu par la neutralité imposée aux élus locaux
Afin d’apprécier la légalité des dispositions imposant une neutralité aux élus locaux, le tribunal administratif a d’abord considéré que, contrairement à ce que fait valoir la commune en défense, ces dispositions ont pour effet, si ce n'est pour objet, d'interdire, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion.
Ensuite, les juges ont rappelé le caractère fondamental de la liberté d’opinion, dans ces termes :
« 11. Aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes des trois premières phrases du premier alinéa de l'article 1er de la Constitution : " La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. ". Aux termes de la première phrase du premier alinéa de l'article 2 de cette loi : " La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. ". Aux termes de l'article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales : " Les élus locaux sont les membres des conseils élus au suffrage universel pour administrer librement les collectivités territoriales dans les conditions prévues par la loi. Ils exercent leur mandat dans le respect des principes déontologiques consacrés par la présente charte de l'élu local. / Charte de l'élu local / 1. L'élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité. ". Aux termes de l'article L. 2121-16 du même code : " Le maire a seul la police de l'assemblée. / Il peut faire expulser de l'auditoire ou arrêter tout individu qui trouble l'ordre. »
Un principe de liberté des élus locaux d’exprimer leurs convictions religieuses se déduit de ces dispositions.
Comme l’a rappelé le juge, l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen consacre la liberté religieuse comme liberté fondamentale en prévoyant que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».
Le principe de laïcité évoqué par le règlement intérieur contesté ne trouve aucune définition claire dans les textes législatifs. On sait toutefois de ce principe qu’il a une valeur constitutionnelle constatée notamment par la référence de l’article 1er de la Constitution en vigueur dont l’alinéa 1er prévoit que “La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.”.
La loi du 9 décembre 1905 est éclairante sur les contours du principe de laïcité. Ainsi, son article 1er consacre un principe et des exceptions, dans ces termes :
« La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. »
Le principe est donc celui de l’obligation imposée à la République d’assurer la liberté de conscience et de garantir le libre exercice des cultes. Le principe de protection de ces libertés ne peut être restreint qu’au titre du maintien de l’ordre public et des restrictions énumérées dans ladite loi de 1905 (ex : principe de neutralité).
Le principe de neutralité, corollaire du principe de laïcité, est précisé dans les termes de l’article 2 de loi du 9 décembre 1905 qui prévoit que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (...) ».
C’est à ce titre que l’article L. 121-2 du code général de la fonction publique impose un principe de neutralité aux agents publics (qui représentent la personne publique et donc la République), dans ces termes :
“Dans l'exercice de ses fonctions, l'agent public est tenu à l'obligation de neutralité.
Il exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité. A ce titre, il s'abstient notamment de manifester ses opinions religieuses. Il est formé à ce principe.
L'agent public traite de façon égale toutes les personnes et respecte leur liberté de conscience et leur dignité.”
Attention toutefois, et c’est certainement l’origine de la difficulté mise en exergue par la Commune : un élu local n’est pas un agent public, comme il le sera démontré ci-après.
Le principe de neutralité religieuse ne s’impose pas aux élus locaux
Le juge administratif de Grenoble a confirmé que les élus locaux ne sont pas soumis au respect du principe de neutralité religieuse.
D’abord, il est essentiel de rappeler que les élus locaux ne sont pas des agents publics.
En effet, conformément au 1° de l’article L. 7 du code général de la fonction publique, “Les mots : « agent public » désignent le fonctionnaire et l'agent contractuel”.
Comprenez : les mots « agent public » NE DÉSIGNENT QUE le fonctionnaire et l'agent contractuel, ce qui exclut l’élu local.
L’élu local est quant à lui défini à l’article L. 1111-1-1 du code général des collectivités territoriales, dans ces termes : « Les élus locaux sont les membres des conseils élus au suffrage universel pour administrer librement les collectivités territoriales dans les conditions prévues par la loi. Ils exercent leur mandat dans le respect des principes déontologiques consacrés par la présente charte de l'élu local.
Charte de l'élu local
1. L'élu local exerce ses fonctions avec impartialité, diligence, dignité, probité et intégrité. (…) »
L’agent public et l’élu local font donc l’objet de définitions et de régimes juridiques distincts.
Dès lors, et comme le rappelle le tribunal, aucune disposition législative n’impose aux élus locaux un principe de neutralité religieuse comme c’est le cas pour les agents publics. En effet, la charte de l’élu local ne le soumet qu’au respect des principes d’impartialité, de diligence, de dignité, de probité et d’intégrité
Pour rappel, le dernier alinéa de l’article 15 du règlement intérieur approuvé par le conseil municipal imposait un principe de neutralité pour les élus locaux, dans ces termes :
« Une tenue vestimentaire correcte et ne faisant pas entrave au principe de laïcité est exigée des élus siégeant au conseil municipal. »
Le tribunal constate d’abord que ces dispositions imposant une neutralité aux élus locaux « ont pour effet, si ce n'est pour objet, d'interdire, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion ».
Mais surtout, le juge considère que :
« 13. Si, dans le cas où la tenue vestimentaire d'un élu municipal provoque un trouble à l'ordre public ou contrevient au bon fonctionnement de l'assemblée délibérante, il appartient au maire de prendre les mesures strictement nécessaires pour y remédier dans l'exercice de son pouvoir de police de l'assemblée, la liberté des élus municipaux d'exprimer leurs convictions religieuses ne peut être encadrée que sur le fondement de dispositions législatives particulières prévues à cet effet. Or, il ne résulte ni des dispositions citées au point 11, ni d'aucune autre disposition législative que le principe de neutralité religieuse s'applique aux élus locaux. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le dernier alinéa de l'article 15 du règlement intérieur relatif à la police de l'assemblée est illégal en tant qu'il interdit, de manière générale, aux élus siégeant au conseil municipal de porter une tenue vestimentaire manifestant leur appartenance à une religion. »
Ainsi, après avoir rappelé le pouvoir du maire d’assumer la police de l’assemblée (le conseil municipal) ce qui se limite à restreindre les comportements qui provoquent un trouble à l’ordre public ou contrevient au bon fonctionnement du conseil municipal, le juge rappelle surtout qu’aucune disposition législative n’impose le principe de neutralité religieuse aux élus locaux.
Après avoir constaté ce défaut de base légale, le juge a décidé d’annuler l’approbation du dernier alinéa de l’article 15 du règlement intérieur adopté par le conseil municipal.
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